Muffin tops
Anglais.
Je n'avais pas envie d'y aller, mais j'ai préparé un truc pour l'oral, ça m'embête de travailler pour rien. Alors je prends mon manteau, pas mon écharpe, il fait suffisamment bon comme ça dehors. Je marche tranquillement, le soleil est de sorti, j'ai le temps.
Il arrive, mais je ne le regarde pas, il lui ressemble trop. Le prof nous fait entrer, ça va être dur de ne pas l'observer, comment parler à une personne sans la regarder ? Il demande qui a fait le travail, et j'ai le cœur qui bat la chamade. C'est stupide, je fais les exercices de respiration qu'on m'a apprit pour me calmer, mais ça ne marche pas. J'ai envie de m'enfuir, je crois le regard du prof.
Au secours !
Il lui ressemble trop. Ce n'est pas juste. Il me sourit, encouragement ? Oui, j'ai fait quelque chose. Mais je ne peux pas parler là, mon cœur bat trop vite, je vais bafouiller. Je ne vois plus le prof, je vois Patrick. Bon, d'accord, je me calme, je vais parler. Il me met une croix, j'ai bien parlé, aucun problème de syntaxe, juste quelques fautes de prononciation. Au Cp, j'avais des croix aussi, mais au bout de trois, j'étais punie. Et je l'étais très souvent... Ici, plus j'ai de croix, plus j'ai de points. Tout change.
Le cours continu. Casque sur les oreilles, on écoute la bande-son, on parle, on écoute à nouveau.
-Muffin tops.
Il explique ce que cela signifie. Les dindes éclatent de rire. Exaspérant. D'ailleurs, elles rigolent tellement fort qu'elles n'entendent pas la suite.
-It's sexy.
Not anorexy.
Haussement d'épaule.
-You like what you like.
Je l'entends déjà, l'autre... S'il avait été là, il aurait regardé attentivement la réaction de toute personne plus grosse que la moyenne, ces gens qu'il appelle des grobèses. Il aurait regardé, et il aurait rigolé.
Mais il n'est pas là.
Sexy. Comme quoi.
Il ressemble à Patrick. Les cheveux coupés court, un joli sourire, les même joues un peu ronde. Les même yeux marrons. Et presque la même voix, apaisante, douce, masculine.
Je me souviens encore, mes écouteurs aux oreilles, Patrick qui parlait dans son micro. Pour m'expliquer quelque chose, c'était plus pratique comme ça. Et moi, je faisais semblant de ne pas tout comprendre, pour qu'il continue de parler encore dans son micro, pour avoir encore sa voix tout près de moi. Je fermais les yeux, et j'avais l'impression qu'il était là, à me parler au creux de l'oreille. Je l'imaginais souriant, se doutant bien que les questions que je posais ne servait qu'à le faire parler. Je n'écoutais même pas vraiment ce qu'il disait, j'écoutais juste le son de sa voix, sa façon de prononcer, ses petits raclements de gorge dont il ne s'aperçoit pas.
Et si Patrick mourait, comment le saurais-je ?